Par Souleymane Seck
Le café Touba, ou café « saaf », est un composé de café arabica aromatisé avec une épice du nom de poivre de Sélim. Cette épice appelée (Djare) figure dans la consommation de certains aliments au Sénégal du fait de ces vertus thérapeutiques. Jusque-là rien de compliqué et de mystique : ce n’est que du café et d’épice. Cependant, ce café, qui porte le nom de la ville sainte de Touba est le plus consommé au Sénégal. Autour de ce liquide noir (café) est construit beaucoup de légendes.
Les légendes sur le café Touba sont intimement liées à l’histoire de son créateur Cheikh Ahmadou Bamba, dit Khadimoul Rassoul (serviteur du messager). Selon, Samba Diop, vendeur de café Touba, au cices foire, « C’est au Gabon que le fondateur de la confrérie mouride, Ahmadou Bamba, à découvert le café Touba. Ce dernier après avoir remarqué le changement de comportement des colons français qui devenaient plus dynamiques après avoir bu le café. Il déduisit que le café contenait des vertus tonifiantes et serait utile à sa communauté
Pour son collègue, Hamza Fall, il raconte que « c’est le fondateur du Mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba, qui a rapporté ce breuvage du Gabon. Ce dernier s’est vu offrir une tasse de café empoisonné Mais un ange, tout en lui révélant la toxicité du café lui disait qu’il pouvait bien le consommer puisse qu’il était sous la protection divine. » Il enjoignait ses disciples à en boire dit-il. Selon, toujours ce dernier, Serigne Saliou Mbacké, ancien khalife Général des mourides de 1990 à 2007 très réputé pour son hospitalité, servait toujours lui-même à ses invités du café Touba.
Pour Cheikh Baye Fall, adepte du mouridisme affirme sur un air convaincu : « ce n’est pas pour rien que le café Touba est aujourd’hui consommé dans tout le Sénégal ». Selon, lui, Serigne Cheikh Ahmadou Bamba, en prenant une gorgée de ce café, a béni ce breuvage et tout bon disciple doit chaque jour consommer le café Touba poursuit-il.
Chez certains vendeurs, il y a tout un rituel à suivre pour la préparation et la consommation du café Touba. D’après Cheikh Baye Fall, vendeur de café Touba, à Apecsi, « il faut d’abord dire BISMILLAH avant chaque étape de la préparation puis réciter le FATIHA et d’autres versets coraniques sur la poudre. De même avant la consommation il y a une litanie à réciter, elle donne un effet mystique au café et purifie le corps dit-il ». Cependant, il faut souligner que la plupart des vendeurs interrogés ne s’adonnent pas cette exigence rituelle dans la préparation du café Touba.
Ce caractère mystique et spirituel pousse certains sénégalais de la confrérie Tidianiya à ne pas boire le café Touba. Selon, Fatou Faye, disciple de Serigne Babacar Sy, ancien Khalife Général des Tidianes, « le café Touba n’est qu’un breuvage mystique utilisé par les mourides pour massifier la communauté mouride » D’ailleurs dit-elle « je ne consomme même pas les tisanes de café acheté par mon mari ». Cette croyance populaire est battue en brèche par les vendeurs de café Touba. Astou Niass, domiciliée à Touba, « le café Touba, n’est rien qu’un breuvage servi pour accueillir et servir des invités, juste une façon de faire du « bernel » conformément aux recommandations de notre grand maitre Cheikh Ahmadou Bamba ».
Quelques soient les légendes ou caractères mystiques ou spirituels, ce café est fortement consommé par les sénégalais, à leur réveil, durant la journée et le soir.
Le café Touba est devenu depuis quelques années une boisson qui rentre désormais dans les mœurs alimentaires du Sénégalais. Avec une histoire liée au premier Khalife de la confrérie mouride, la vente du café Touba est devenue une activité lucrative d’où l’engouement des jeunes issus de toutes les couches sociales et obédiences religieuse
Engouement des jeunes
Depuis sa création, le café Touba était consommé par les mourides lors des commémorations religieuses. Aujourd’hui, c’est l’un des cafés les plus consommés au Sénégal. Le café Touba est vendu aux grands carrefours de Dakar, dans les lieux de rassemblement, au bord des artères de la ville ainsi que dans les boutiques. Sans compter les vendeurs ambulants de café Touba que l’on rencontre partout à Dakar. La vente du café Touba est devenue une activité en vogue. Il faut souligner, qu’il s’est créé une nouvelle fonction autour de la vente du café Touba. Aujourd’hui, de la gratuité à la commercialisation, la vente du café Touba n’est pas seulement détenue par les ressortissants de la ville sainte de Touba. A l’image de Bassirou Ndiaye « je suis né et grandi à Dakar. Les péripéties de la vie m’ont amené à vendre le café Touba ». Il faut souligner que plusieurs des jeunes qui s’activent dans la commercialisation du café Touba sont issus des différentes localités du pays. Cependant, il demeure constant que la quasi-totalité se réclame de la confrérie mouride. Cette appartenance confrérique se manifeste par les caricatures des différentes figures du mouridisme sur les tables au-dessus desquelles on voit des thermos majestueusement posés, à cote des gâteaux en sachet rangés, des sons des « Khassaides » distillés par une chaine à musique et, surtout le nom du Cheick qui revient au bout de chaque parole de leurs conversations. C’est le même décor dans la quasi-totalité des espaces de vente de café Touba à Dakar. Outre, ces espaces, il faut noter ceux qui empruntent les rues et artères de la ville. Les vendeurs ambulants que l’on rencontre partout. Avec une marmite posée sur un fourneau tenu en laisse à l’aide d’un fil de fer et, autour du cou des tasses à jeter enfilés comme des perles. Ils sillonnent les artères de Dakar jour et nuit à la recherche de clients. Comme un effet de mode, il y’a un engouement des jeunes et femmes dans la commercialisation du café Touba. Ceci s’explique, selon, Samba Diop, vendeur de café par « le coût de l’investissement de départ qui reste relativement accessible pour bon nombre de personnes. » Cependant, il faut noter que les investissements de départ varient d’une personne à une autre. Les montants varient entre 30 000 frs CFA et 50 000 frs CFA. Selon, M. Diop, « cette différence sur les investissements s’explique le plus souvent par la volonté du vendeur à décorer son espace et à s’acquitter des taxes au niveau de la mairie » Et dit-il sur la qualité du matériel (notamment les thermos, les tasses, la qualité du café moulu etc.... Pour M.Diop, l’autre facteur déterminant qui l’a poussé à embrasser ce métier dit-il « émane de sa volonté de se frayer son propre chemin, après avoir cheminé avec son grand frère, tous les deux originaires de la ville de Touba, suite à une querelle sur la gestion du commerce. » Il fut aidé par sa sœur pour monter sa propre cafeteria à quelques mètres de son frère. Quant à son collègue situé à la cité apeci non loin des cimetières musulmans de yoff il explique que « comme tous les jeunes de Yoff, je fréquentais les plages en dessinant des tableaux d’art que je vendais aux touristes. » Son métier d’artiste lui apporter beaucoup d’argent. Il lui arrivait de ventre un tableau à plus de 300 000 frs CFA. Sans compter le métier de gardien de parking qui lui apportait aussi beaucoup d’argents. «J’ai tout abandonné pour me consacrer exclusivement aux recommandations de Serigne Touba. Je me suis consacré exclusivement aux enseignements de Cheick Ahmadou Bamba ». C’est ainsi dit-il « je me suis installé à hauteur du cimetière de yoff sur instruction de mon guide spirituel pour vendre du café Touba ».
D’autres comme Issa Sarr, dit avoir choisi le métier de vendeur de café de Touba car ayant aucune autre alternative. « Les coûts liés à la préparation ne sont pas si élevés et la demande est forte » dit-il.
Soupape de sécurité où alternative à l’emploi ? En tout cas toute une économie organisée se développe autour de la vente du café Touba d’où l’engouement de toute une jeunesse en quête d’identité et de reconnaissance face aux contraintes qu’impose l’économie structurée.
Aujourd’hui on voit des Groupements de femme, GIE, entreprises sarl, qui s’activent tout au long de la chaine de valeur de la production à la consommation. Les vendeurs de café Touba n’ont plus besoin de griller le café. Car ayant la possibilité de trouver le café moulu avec toutes les épices. Ainsi, la préparation devient plus facile. Bien que d’autres vendeurs restent toujours dans l’ancienne pratique qui nécessite plus de temps dans la préparation.
Mode d’emploi
Bien qu’il provienne des pays de la sous-région, Côte d’Ivoire et Bénin, notamment, le café Touba n’a pas moins été « apprivoisé » par les Sénégalais qui, dans le processus de fabrication de la boisson via le moulage et le grillage des grains, y ajoutent du poivre de selim (‘’djar’’ en wolof) et, parfois, des clous de girofle (‘’xorom polé’’ en wolof). Ce qui lui donne son « goût exquis », selon ses inconditionnels.
La vente du « café Touba », une activité lucrative
Outre les différentes raisons qui poussent les jeunes à s’activer dans la commercialisation de ce breuvage, il faut souligner aussi les enjeux financiers qu’elle suscite. Selon, M. Diop, « la vente du café Touba m’a permis aujourd’hui d’acheter un terrain à Touba à hauteur de 1 500 000 frs CFA. Et mieux, j’ai commencé la construction de ma maison ». Alors, dit-il « j’ai commencé à vendre le café, il y’a quatre ans. » Ayant réussi à trouver une place stratégique dans le nouveau quartier (cices foire), M. Diop, fait un bénéfice net de 5000 frs CFA sur le café. Toujours, selon ces propos « il m’arrive très souvent de faire des bénéfices journaliers de plus de 10 000 frs CFA. Ces occasions se présentent avec des commandes de café Touba lors des cérémonies (baptêmes, deuils, mariages...) des membres de notre Dahira. ». D’ailleurs, il souligne que ce commerce de café Touba, lui a ouvert d’autres portes. Car dit-il « A travers la vente du café, j’ai acheté des scooters pour faire la livraison à domicile et je m’active aussi dans la vente d’accessoire de téléphone. » A ces débuts dit-il « je ne pensais pas pouvoir me réaliser avec la vente du café. C’était juste un passage pour me lancer dans mon métier d’origine (menuiserie) car cela nécessite des investissements lourds. Mais je me suis accroché à la vente de ce breuvage, quand dans un reportage à la télévision, j’ai vu un vendeur de café, malheureusement assassiné et dont les témoignages rapportaient que c’est à cause de la vente du café qu’il avait construit sa maison. Dès lors, je me suis dit que tout est possible avec ce métier ». Cependant, souligne-t-il « se lancer dans la vente du café n’est pas synonyme de réussite financière. La réussite financière, souligne-t-il reste tributaire de plusieurs paramètres. Entre autres, beaucoup de sacrifices, une bonne organisation, un produit de qualité et une bonne hygiène. » Pour Hameza, un vendeur du liquide noir rencontré aux HLM grand yoff, (vieux quartier de Dakar) le café Touba rapporte de l’argent. Déjà en plein dans son commerce, il explique qu’avec un kilogramme de café Touba acheté à 2500 frs CFA, il peut avoir de quoi remplir cinq fois la cafetière et obtenir à chaque chaque opération un bénéfice de 1000 frs CFA. Selon, lui cette marge bénéficiaire est le fruit du café de qualité qu’il utilise pour son breuvage. Il note aussi que « Quiconque s’active dans la vente du café Touba et, qui remplit toutes les conditions dans la préparation aura des retombées positives sur le plan financier » Car dit-il « il y a la main invisible, celle de de Ahmadou Bamba ». Toujours dans ces propos, il souligne que plusieurs personnes dans son entourage ont commencé à vendre du café Touba pour devenir de grands investisseurs dans le secteur du transport. Et, même dans le secteur du café où ils sont devenus des Industriels, ils vendent du café Touba et des tasses sous leur label. Originaire de Touba, Ousmane Fall, quant à lui est un vendeur qui officie à la cité Port, reconnaît également qu'il s'en tire bien, même si côté bénéfice cela varie. Parfois, explique-t- il, je m'en sors avec 3000 FCFA, d'autres fois je peux arriver à un bénéfice de 4000 FCFA. Il m'arrive même d'atteindre des pics de 5000 FCFA. Au lieu du kilogramme de café, il en achète huit à raison de 2000 FCFA le kg et ainsi les bénéfices peuvent augmenter sensiblement jusqu'à permettre à cet homme, installé à Dakar depuis trois ans, de se marier et de s'acheter un terrain.
Quant à Adama Diop, une vendeuse de 35 ans établie à Keur Serigne Bi, le café lui permet de payer sa location et d'aider ses deux enfants. Divorcée depuis longtemps, cette serveuse du liquide noir peut avoir 6. 000 FCFA par jour. Mais elle signale le cas de clients qui, sous prétexte de souscrire un abonnement viennent prendre leur breuvage durant un laps de temps, puis un beau matin ils disparaissent sans payer ni laisser d'adresse...
Le Café Touba, un breuvage très prisé par la population est devenu une source de revenu pour certains jeunes et femmes du pays. Par contre, la recherche effrénée de bénéfice à travers la vente de ce café pousse certains vendeurs à se procurer de produits de mauvaise qualité, à user d’astuces au mépris de la santé des consommateurs.
Café Touba : Un café dangereux ?
Consommer du café Touba est à la mode. Beaucoup de jeunes ont investi cette niche d’emploi. Cette ruée dans la commercialisation et la consommation du café Touba font que beaucoup de vendeurs de ce breuvage, ne se préoccupent pas de la qualité du café vendu. Certains ou la plupart ne prennent pas la peine d’acheter la graine, la griller, la moudre avant d’en faire un breuvage chaud. Ils se ravitaillent en poudre chez les commerçants. Hormis certains produits assimilés à du café Touba sont de piètre qualité et dangereux pour la santé. Selon, Samba Diop, vendeur de café Touba « il y a du niébé, du mil, du riz et de la noix de pain de singe qui sont généralement grillés, moulus et mélangés à du café, avant d’être mis en sachets vendus sur le marché ». D’ailleurs, il faut se rappeler en 2018, une usine clandestine de fabrication de café Touba à base de maïs a été découverte à Mbebeuss (décharge de saleté) par la Brigade des services d’hygiène de Keur Massar. Les fabricants utilisaient les graines de maïs au lieu de la graine de café. Outre, ce mélange de la poudre noire, certains vendeurs utilisent le sucre chimique ou industriel « sucre baye Fall ». Selon, Manon Liubrieu, nutritionniste à l’hôpital Principal de Dakar, « L’utilisation de ce sucre répond à des normes que beaucoup de vendeurs de café ignorent. Ces derniers font souvent l’estimation, ce qui est dangereux. Ils ne sont obnubilés que par les bénéfices tirés de leur commerce ». En plus de ces aspects dans le mode de préparation
du café Touba, il faut noter selon, Mme Liubrieu « La comestibilité de la combinaison de substances aromatique qu’il contient peut-être source de danger pour la santé » Même, s’il faut noter l’inexistence d’études spécifiques pour déterminer les conséquences néfastes de ces substances (épices) qui sont ajoutées au café. « Mais de par la mode de préparation on peut s’interroger sur ses bienfaits » dit-elle « Le café Touba présente un danger pour la santé du fait d’une torréfaction trop importante quiexpose l’organisme aux hydrocarbures aromatiques polycliniques qui représentent un risque cancérigène » dit-elle.
Souleymane Seck
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